Et le Premier prix est décerné à…
Il est dans la nature humaine de se mesurer sans cesse à autrui. Dans les concours de musique classique le surpassement de soi s’exprime à la fois dans la réalisation technique et artistique. Qu’en est-il de cette expérience et de la préparation très spécifique qui y est requise ? Pascal Godart est un artiste international qui manie un jeu plein d’esprit, d’une virtuosité brillante, un toucher savamment contrasté et sculpté. Avec un tempérament profond, il façonne un son noble qui suscite le saisissement.
Pascal Godart a étudié successivement avec Renée Entremont, Yvonne Loriod-Messiaen, Vadim Sakharov, il est diplômé du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (trois premiers prix) et de la Hochschule de Hanovre (Konzertexam) où il a pu étudier grâce à une bourse Lavoisier. Il est régulièrement l’invité des orchestres les plus prestigieux : Orchestre Pasdeloup, Symphony Orchestra Augusta, European Union Chamber Orchestra, Wiener KammerOrchester, Tokyo Symphony, Orchestre de la Scala de Milan et de nombreux autres. Quelques chefs ont également marqué son parcours musical, tels que Wolfgang Dörner, Shizuo Kuwahara, Valentin Kojin, Didier Benetti, Stéphane Cardon, Saulius Sondeckis, Alexander Dmitriev, George Pehlivanian.
Lauréat des concours internationaux de Milan, Cleveland, Tokyo et Porto, il remporte en 1996 le Grand Prix International Maria Callas à Athènes avec dix concertos pour piano et orchestre. Ses concerts le mènent de la Salle Pleyel à Paris à la Scala de Milan, au Konzerthaus de Vienne et jusqu’en Corée du Sud, au Japon, en Chine ainsi qu’aux Etats-Unis en passant par les grands festivals : Yokohama (Japon), Stresa (Italie), Radio-France à Montpellier (France), Académie-Festival des Arcs (France), les Haudères (Suisse), Académie Tibor Varga (Sion – Suisse), le Sion-Festival (Suisse), Piano à Saint-Ursanne (Suisse), le Festival Radio-Classique à Paris.
Musicien complet et curieux, il se consacre également à la musique de chambre aux côtés notamment de Brigitte Meyer, Gyula Stuller, Pavel Vernikov, Natalia Gutman, Olivier Charlier, Raphaël Oleg, Henri Demarquette, Latica Honda-Rosenberg, Mi-Kyung Kim, David Gaillard, Sasha Zemtsov, Philip Myers et bien d’autres. Parmi les ensembles, citons l’American Ballet Theater (Benjamin Millepied), Sirba Octet ou encore les quatuors Psophos, Alma, Emperor.
Pascal Godart a réalisé une intégrale de la musique pour piano de Maurice Ravel en collaboration avec la chaîne Mezzo et le Théâtre Impérial de Compiègne. Ses récents enregistrements reçoivent par ailleurs l’éloge de la critique : Schubert, Stravinsky et Franck chez Accord Universal, Dutilleux et Saint-Saëns chez Indesens. Il a enregistré également pour Saison Russe et Suoni & Colori.
En 2010, Pascal Godart est nommé Professeur de piano à la Haute Ecole de Musique de Lausanne (HEMU Vaud-Valais-Fribourg). Il est régulièrement invité à donner des master-classes à l’étranger.
Pascal Godart est membre du jury du Grand Prix Maria Callas 2010 à Athènes ainsi que de la commission de pré-sélection du Concours International de Piano de Genève 2014.
Il donnera un cours d’été à l’Académie Tibor Varga à Sion du 10 au 15 août 2015. www.amsion.ch
Vous trouverez encore d’autres informations sur le site : www.pascalgodart.eu
1- À quel âge as-tu participé pour la première fois à un concours et duquel s’agissait-il?
PG : Il s’agissait du Concours International Robert Casadesus à Cleveland (USA), je n’avais pas encore vingt ans. Je venais alors de terminer mon second cycle au Conservatoire de Paris et mon professeur a pensé qu’il valait mieux ne pas trop attendre avant de m’envoyer goûter aux Concours Internationaux. La suite lui a en partie donné raison puisque je fus finaliste et lauréat (4ème Prix) de ce premier concours international, ce à quoi je ne m’attendais pas du tout.
2- Qui était ton professeur d’alors et comment as-tu été préparé par lui ou elle à cette épreuve ?
PG : Mon professeur à l’époque était Yvonne Loriod-Messiaen. Elle m’a préparé avec soin et avec beaucoup de générosité. Je n’oublierai pas la semaine passée à Petichet cet été là, avant de partir à Cleveland, en compagnie d’Yvonne et d’Olivier Messiaen : des conditions de travail magnifiques, un cadre somptueux et l’exigence d’un professeur à mes côtés chaque jour. Même si la préparation avait naturellement commencé bien en amont, cette dernière session fut dynamisante et encourageante. Je me souviens comme si c’était hier d’Olivier Messiaen racontant sa rencontre en forêt avec un garde-chasse qui ne voulait pas croire qu’il venait enregistrer les chants d’oiseaux !
3- Pourquoi ce concours-là et pas un autre
PG : Les Etats-Unis sans doute. Le fait que ce concours ne semblait pas hostile aux français a priori puisque quelques-uns y avaient rencontré un certain succès les années précédentes, la période propice (août) à une époque où j’étais encore très jeune et suivais le cursus du Conservatoire de Paris. Enfin ce fut le conseil de mon professeur Yvonne Loriod-Messiaen. Ce sont sans aucun doute des éléments qui ont déterminé notre choix collectif.
4- À part la préparation optimale du programme, il faut également une préparation nerveuse spécifique. Comment as-tu vécu cette première expérience ?
PG : A vrai dire avec beaucoup de bonheur. Ma famille m’accompagnait, ce qui était bien agréable car j’étais (encore!) jeune. Outre la préparation artistique, il me semble que la condition physique est essentielle avant un concours, tout comme avant un concert d’ailleurs. Le sommeil et l’alimentation sont primordiaux à mon avis. Dans ce cas précis, la présence de ma famille à mes côtés était aussi un moyen de me ressourcer rapidement aux côtés de mes proches.
5- Remporter le Grand Prix International Maria Callas à Athènes avec dix concertos pour piano et orchestre est un énorme exploit. Quel souvenir as-tu de ce concours ?
PG : C’était la seconde fois que j’avais la chance de remporter un premier prix (après celui du Concours de Porto en 1990) et ce fut une joie immense. J’étais en particulier heureux que ce soit cette fois avec dix concertos, car le concerto avec orchestre est ce qui m’a depuis toujours le plus enthousiasmé parmi les différentes formes de « concert » que nous pratiquons dans ce métier : la voix soliste du piano me semble toujours magnifiée et mise en résonance de la plus belle des manières lorsqu’il dialogue avec tous les timbres de l’orchestre, que ce soit un hautbois, un cor, ou avec les cordes. C’est pour moi un réel moment de bonheur chaque fois que je joue avec orchestre.
C’était aussi pour moi l’occasion de rencontrer le pianiste hongrois György Sàndor, président du jury. J’eus le bonheur de l’entendre lors de l’un de ses derniers concerts, dans une magnifique opus 111 de Beethoven entre autres, quelques années plus tard.
6- Quelle était l’ambiance entre les candidats, aviez-vous des contacts entre vous ?
PG : Oui, je me rappelle de l’air ahuri du chauffeur du bus nous demandant d’où nous venions et de son visage incrédule lorsque nous répondîmes Brésil et France, mon collègue et moi : en effet, nous échangions alors en russe ensemble !
7- Ce prix a-t-il changé ta manière de jouer par la suite ?
PG : J’ai continué à travailler, à progresser (heureusement!). J’ai surtout ressenti une plus grande exigence envers moi-même, l’envie de faire honneur à ce qui m’attendait et d’être à la hauteur.
8- Précédemment, tu as obtenu le second Prix au concours Dino Ciani à Milan en 1993. C’était un concours très différent de celui d’Athènes ?
PG : Oui, le Dino Ciani avait cette particularité exceptionnelle de nous offrir une finale à la Scala de Milan, ce que je n’oublierai jamais. C’était le premier concerto de Brahms, sous les yeux (et les oreilles!) de Ricardo Muti, d’Alexis Weissenberg, de Paul Badura-Skoda, entre autres. Martha Argerich a malheureusement annulé sa participation à ce jury à la dernière minute !
Le concours consistait je crois en quatre récitals et une finale concerto et n’avait par conséquent rien à envier au Maria Callas car le programme était très exigeant mais réparti différemment. J’ai joué là, au fil des tours, Gaspard de la nuit, la sonate en si mineur de Liszt, les Tableaux d’une Exposition de Moussorgsky, une sonate de Beethoven, de multiples études… C’était un programme très exigeant.
9- La composition des programmes présentés est très différente d’un concours à l’autre. En tant que membre de jury, quelle est pour toi la meilleure formule pour juger au mieux un candidat ?
PG : C’est difficile à dire. Certains concours proposent une partie musique de chambre, avec un quintette ou un trio. Je trouve l’idée intéressante car d’autres qualités sont mises en évidence dans cette configuration.
Autrement, à l’exception du Callas et de son programme particulièrement tourné vers le concerto (les choses ont un peu changé ces dernières années d’ailleurs), je trouve excellente la formule comprenant deux ou trois récitals, puis un ou deux concertos en finale, en particulier lorsque le premier est un concerto de Mozart, comme au Concours International de Genève. Elle permet de faire le tour du talent et des capacités des candidats dans les différents « compartiments du jeu », comme diraient les sportifs, en sortant paradoxalement des défilés d’études !
Je note la décision assez intéressante de Didier Schnorhk, le Président du Concours International de Genève précisément, qui m’expliquait avoir supprimé les concerti de Rachmaninov dans la liste au choix, arguant du fait que ceux-ci entraînaient presque systématiquement un déchaînement du public, dû autant à la nature même du discours musical de Rachmaninov qu’à l’interprétation du candidat et que, par conséquent, les choses étaient un peu biaisées.
Il fallait oser le faire, je trouve cela assez courageux.
10- De même, le système de notation du jury est basé sur des méthodes très différentes d’un concours à l’autre. As-tu une préférence pour l’une ou l’autre version ?
PG : Pour avoir été témoin de cette situation, je trouve que la vérification minutieuse entre les notes données par un membre du jury et celles reportées sur le document final est essentielle (!).
Pour en revenir à ta question, je crois que la suppression des notes extrêmes est une bonne chose, lorsque le système de notation fonctionne avec des chiffres.
Cependant, pour le passage d’un tour à l’autre, notamment en début de concours, il me semble que la méthode oui/non est tout aussi efficace.
11- La préparation y est autant physique que morale. As-tu une théorie sur l’alimentation et sur la méditation ?
PG : Sur la méditation à proprement parler, non. En revanche il est certain qu’il me semble important de savoir faire le vide, calmer son rythme cardiaque, être en communion avec l’oeuvre que l’on va interpréter et tâcher d’oublier que l’on passe un concours mais plutôt que l’on va donner un concert. Cela dit, pour certains l’adrénaline amplifie les « performances » ou l’électricité, parfois la disponibilité à laisser l’émotion trouver sa place. D’une personne à l’autre les choses varient. D’un répertoire à un autre sans doute aussi.
Concernant l’alimentation, elle est évidemment un élément auquel il convient d’apporter une certaine attention, ce qui n’est pas toujours facile en fonction des pays que l’on visite lors des concours.
Mais je ne suis pas un extrémiste en la matière et il me semble qu’il n’y a pas de conseil universel. Nous sommes tous différents.
12- Un prix gagné est une promesse d’un paquet de contrats pour le musicien, un départ de carrière. Comment peut-on expliquer qu’aujourd’hui, malgré beaucoup de lauréats, la plupart ne parviennent pas à s’imposer durablement, au-delà de quelques années ?
PG : Tout d’abord, il me semble que c’est parfois le cas, mais pas toujours.
Ensuite, la question est vaste. Certains musiciens parmi les plus intéressants sont précisément des personnalités qui aiment prendre le temps, ne cherchent pas à développer une « carrière » à tout prix même si leur chemin personnel les a menés vers les concours. Je prendrai un exemple mais il y en aurait d’autres: un pianiste aussi génial qu’accompli tel que Grygory Sokolov a ressenti le besoin de s’éloigner de la scène pendant plusieurs années afin de construire son répertoire et d’approfondir son art. Qui aujourd’hui est capable d’une telle exigence envers lui/elle-même ? Et pourtant…
Plus personnellement, je dois dire que j’ai été plongé dans le monde des concours à un âge où je n’étais pas prêt. J’en ai gagné trop tôt. Il me semble que vingt ans plus tard je commence à être en mesure, parfois, d’atteindre un résultat proche de ce que je recherche.
L’art en général et l’interprétation en particulier procèdent à mon avis d’un travail, d’une recherche permanents et la précocité ou l’aptitude à gérer très tôt un début de carrière sur les chapeaux de roue ne sont, à mon sens, pas forcément synonymes de profondeur.
13- Quelle est la différence entre la préparation des concerts et la préparation des concours ?
PG : Je me souviens que lors des préparations de concours, j’entendais souvent dire qu’il convenait de jouer en concours comme on l’aurait fait pour un concert, afin de ne pas jouer comme un cheval de course. Concernant la préparation cela dit, mon professeur me faisait vivre un réel entraînement, comparable à celui d’un sportif. Chaque note était construite, pensée, répétée des milliers de fois.
A posteriori, cette méthode de travail me fait gagner beaucoup de temps, pour préparer certains concerts précisément. Au fond, c’est la même chose lorsque l’on considère que chaque concert doit être préparé à la perfection. Ceci ne me semble en rien incompatible avec la musique et le bonheur de l’écouter ou d’en jouer. Ceci permet cela au contraire.
14- Combien de concours par année conseilles-tu à tes étudiants ?
PG : Cela dépend de l’étudiant et des programmes proposés. Il me semble que si deux concours ne sont pas trop éloignés dans le temps et que leurs programmes respectifs sont assez similaires, il est possible de prendre part aux deux.
Il me semble en revanche que la participation systématique à tous les concours qui se présentent peut mettre en danger à force la qualité d’une réelle préparation et surtout le développement nécessaire d’un répertoire varié, dans la mesure où l’on se présente à un concours avec des œuvres que l’on connaît très bien en priorité. Le risque est de se cantonner assez tôt aux mêmes œuvres et de commencer à les répéter sans plus en sortir.
Pascal Godart