Il me semble tout à fait légitime, de la part de ceux qui n’ont pas l’habitude de fréquenter les salles de concert de musique classique, de poser ces questions :
A. Mozart : Concerto KV 488 –Adagio
Discussion entre 2 amis venus ensemble à un concert de musique classique : l’un est mélomane, l’autre est venu pour faire plaisir à son ami…
-« Mais pourquoi faut-il se taire pendant un concert ? Pourquoi le moindre bruit semble-t-il mettre à mal les nerfs de nos voisins du public ?
-« Pour la 4ème fois : mets ton téléphone sur silencieux, stp. ! »
-« Et puis, pourquoi je ne peux pas répondre à ma sœur qui m’appelle sur mon portable depuis 5 minutes? »
-« Je t’expliquerai après, écoute le concert! (J’aurais du t’expliquer avant, d’ailleurs…)»
-« Sont-ils tous snobs ici ? Quel est le code secret de comportement qu’ils suivent tous durant les concerts de musique classique ? »
– « Personne n’est snob, ils écoutent attentivement. »
-« Et pourtant dans un concert de jazz ou de rock on peut parler, non ? Ils sont peut-être moins coincés, ceux-là ? Et puis j’ai une faim de loup, je vais me déballer ce beau sandwich appétissant. Si tu veux, j’ai aussi des yaourts… »
J’ai vécu cette situation (sans exagération !) et beaucoup de mes collègues musiciens également.
Comment comprendre ce code de comportement qui laisse perplexe ceux qui fréquentent d’ordinaire des concerts d’un tout autre genre musical ?
-D’abord un peu d’histoire :
Je vais citer l’excellent travail de David Ledent, (docteur en sociologie de l’Université de Caen, sociologue de la culture, de l’histoire des idées et les théories sociologiques) publié dans la Revue Appareil n°3 (2009) : « Une représentation musicale ouverte à tous remonte au XVIIIe siècle et s’institutionnalise progressivement sous la forme de concerts publics. La date clé est celle de 1725 lorsque Philidor, compositeur français, crée le Concert spirituel, institution qui expérimente de nouvelles modalités de diffusion des œuvres musicales. Ces concerts s’adressent à des amateurs éclairés et ont le rôle particulier d’élever l’âme, la musique permettant d’exprimer sur un mode symbolique certains idéaux de la civilisation occidentale.»
A l’époque le règlement n’était pas très strict : « on échange des propos badins, des impressions d’esthète, des compliments et des billets circulent. On s’interpelle, on se congratule. L’assemblée exprimait à haute voix des C’est superbe !, C’est détestable !, Bravo !, Bravissimo !, mais ça ne les empêchait pas d’écouter très attentivement le spectacle musical. Ainsi naît le mélomane. Le concert spirituel est un lieu de transgression potentiellement ouvert à tous pour le plaisir auditif. »
« Au début du XIXe, en Allemagne, le goût allemand se structure autour d’une écoute attentive qui place la fonction esthétique de la musique au-dessus de tout. Le concert dessine alors un espace d’écoute qui médiatise 3 catégories : l’interprète, l’auditeur et l’œuvre. L’applaudissement à la fin des morceaux apparaît d’ailleurs dans les années 1820.
Depuis Gustav Mahler à la fin du XIXe, le public n’applaudit pas entre les mouvements d’un même morceau, l’œuvre étant un bloc indissociable » (fin de citation) : les mouvements qui la constituent n’étant que des chapitres d’un même livre.
Si l’on craint de ne pas savoir quand on peut applaudir, il est possible de consulter le programme auparavant afin de savoir si les œuvres sont en plusieurs parties.
-Les artistes qui présentent un programme de musique classique ont a interpréter les plus infimes variations des expressions de l’âme humaine au moyen des plus acrobatiques gestes sur leurs instruments. Tout ceci requiert une concentration d’une extrême fragilité qu’un bruit ou un mouvement viennent immanquablement perturber. Comme au théâtre, le concertiste est comparable à un acteur qui doit sortir du plus profond de lui-même et matérialiser dans l’instant devant nous (le public) l’expression de centaines d’heures de travail et de maturation de l’œuvre.
-De son côté, le public ne vient pas pour faire la conversation à son voisin (sinon à l’entracte… et pour cela il y a d’autres lieux prévus à cet effet), mais paie pour entendre un programme annoncé à l’avance, interprété par le ou les artistes invité(s) ; bis mis à part, le programme est annoncé à l’avance afin que le public sache ce qu’on lui propose. Pour pouvoir capter toutes les intentions musicales exprimées par l’artiste, la totalité de l’attention de l’auditeur devra tendre vers la scène. Peut-on honnêtement affirmer qu’en mangeant ou buvant, les oreilles écoutent de la même manière que dans le silence ? Sans parler du fait que votre voisin a peut-être envie d’écouter très attentivement sans devoir subir quelqu’un qui mange à côté de lui…
Pour les mêmes raisons taper des mains pendant les morceaux, chantonner la musique ou manifester avec des grands mouvements de la tête ou du corps son amour de la musique ne fait que vous empêcher, vous et vos voisins, de suivre les moments de poésie qui se déroulent sur la scène.
-Il est vrai que l’air sec des salles de concert et la promiscuité du public font souvent tousser plus qu’à l’accoutumée. Et, bien sûr, on s’escrime à déballer de son emballage plastifié le bonbon dont on a absolument besoin à ce moment-là pour nous s’humecter la gorge : c’est la terreur des salles de concert.
-Les artistes peuvent parler au public pour expliquer l’œuvre qu’ils vont interpréter ou bien pour annoncer un bis. D’ailleurs il n’est pas non plus souhaitable de manifester bruyamment votre mécontentement de voir la soirée se prolonger plus que prévu après le 6ème bis accordé… Ces moments de fin de concert sont de fait réclamés par le public qui exprime sa satisfaction et son appréciation du moment qu’il vient de vivre en priant l’interprète de lui offrir des suppléments que ce dernier exécutera sans majoration du prix du billet ni de son cachet…Pour ce qui est des manifestations d’enthousiasme après un bon concert, contentez-vous s’il vous plaît, d’applaudir, voire de crier Bravo ! sans jeter votre t-shirt sur l’artiste : nous ne sommes pas dans un concert de Rock ! Chaque genre a ses usages, c’est ce qui fait aussi toute la beauté de la diversité de la vie.
-Les parents venus avec leurs enfants en bas âge et qui craignent que la soirée ne se prolonge au delà d’une heure raisonnable pour ces derniers, peuvent quitter le concert à l’entracte, s’ils le désirent.
-Pour ce qui est du code vestimentaire : venir dans un état négligé ou sale n’a pas lieu d’être, cela tombe sous le sens. Nous nous devons d’être décents, avant tout par rapport à nous-mêmes. Personnellement, je ne vais jamais pouvoir vivre une soirée au concert comme si j’allais faire mes courses. Il s’agit d’un moment spécial, festif pour moi ; je vais donc m’habiller différement de la journée pour marquer ce moment qui me tient à coeur. Cela n’implique pas forcément le port de toilettes coûteuses, excentriques ou de grandes marques…
Je vous souhaite de connaître des moments magiques lors de vos prochains concerts. Ceux-ci ont comme finalité première de nous sortir de notre quotidien, de nous faire vivre des émotions qui nous régénèrent!