Entretien avec la pianiste Brigitte Meyer !

UnknownComment peut se dérouler une masterclasse en 16 questions !

 

Masterclasse (cette expression a été adoptée et publiée au Journal officiel de la République française le 16 septembre 2006 en remplacement de l’expression anglaise « master class ») ou cours de perfectionnement : c’est un cours de maître ou cours d’interprétation donné à un étudiant par un expert de la discipline, un artiste de renom.

 Brigitte Meyer (pianiste suisse née en 1944 à Bienne dans le canton de Berne) est une artiste qui a pu, par l’expressivité de son jeu, révéler les émotions humaines les plus complexes et les plus diverses, privilégiant toujours la noblesse, le chant et la respiration du langage musical, en se forgeant un répertoire des plus larges avec une fidélité à Mozart dont elle est l’une des plus raffinées interprètes d’aujourd’hui.

Après des études à Lausanne dès 1962 (dans la classe de Denise Bidal, ancienne disciple de Cortot), elle obtient en 1971 la Reifeprüfung (épreuve de maturité) ainsi que le prix Bösendorfer à l’Académie de Vienne dans la classe de Bruno Seidlhofer avant d’être également finaliste, en 1975, de l’un des plus grands concours de piano : le Prix Clara Haskil.

Dès lors, sa carrière internationale prend une ampleur considérable : elle joue sous la baguette de chefs tels que Pinchas Steinberg, Armin Jordan, Lovro von Matacic, Michel Plasson, Horst Stein et de nombreux autres, accompagnée par les plus grands orchestres dans des salles telles que le Musikverein de Vienne, le Concertgebouw à Amsterdam ou le Queen Elisabeth Hall à Londres. Artiste généreuse, elle régale les publics de divers festivals internationaux : La Roque d’Anthéron, le Luzern Festival, la Primavera Musicale di Roma, etc. L’amour qu’elle porte à la musique de chambre lui a apporté de nombreuses collaborations avec Martha Argerich, Maria Joao Pires, Tibor Varga, Pierre Amoyal, Eric Tappy et de nombreux autres. Sa discographie est riche et contient, entre autres titres, l’intégrale des œuvres pour piano de Mendelssohn.

Voici un exemple d’un des volumes :

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Dans le domaine de l’enseignement, après plus de 20 ans à la tête d’une classe professionnelle au Conservatoire de Musique de Lausanne/HEMU Haute École de Musique, Brigitte Meyer a donné de nombreuses masterclasses, notamment à Tokyo, Téhéran et Uttwil.

Site : http://www.brigitte-meyer.com

D.M.-L’un des premiers à animer une classe de maître a été Franz Liszt à Weimar, à partir de 1869. Quels sont pour toi les grands maîtres des cours de perfectionnement ?

B.M.- Ceux qui me viennent à l’esprit en ce moment sont : Alfred Cortot, Edwin Fischer, Dmitri Bashkirov. Cortot pour l’inimitable façon de jouer, les couleurs très diversifiées et une poésie très française. Fischer était un homme très spirituel (en tout cas c’est comme ça qu’il apparaissait à ses élèves) ; ses cours étaient plus axés sur l’interprétation que sur la technique. Bashkirov, un maître typiquement russe, est comme un roc dans sa conception du son et du déroulement agogique ; il me fait penser à un sculpteur (car tous les pianistes russes que j’ai entendu jouant du Schubert semblent ignorer l’aspect viennois et font de la sculpture sonore…).

D.M.- À quel âge as-tu participé pour la première fois à une masterclasse en tant qu’étudiante et avec quel professeur ?

B.M.- Mais je n’ai jamais participé à une masterclasse ! Lors de mes études, ce n’était pas à l’ordre du jour (même si à l’époque E. Fischer donnait des masterclasses à Lucerne, en Suisse). La fille timide que j’étais n’avait jamais pensé pouvoir se présenter à un cours de ce genre, alors que j’avais commencé assez tôt à donner des concerts en Suisse et en Allemagne ! Personne ne m’a dit : il te faut prendre des cours et j’ai mené ma propre recherche -personnelle et secrète- jusqu’à l’âge de 24 ans, soit au moment où j’ai participé à mon premier concours international (je n’y ai d’ailleurs pas très bien joué…). Les autres concurrents me demandaient la raison pour laquelle je restais en Suisse…  Va mettre ton nez à l’extérieur, me disaient-ils et : travaille avec quelqu’un d’important. Ils m’ont présenté à Bruno Seidlhofer (le grand maître viennois) qui m’a dit : je vous prends tout de suite avec moi. J’ai commencé par refuser mais il a insisté. Ça a été véritablement lui, mon maître…Comment enseignait-il ? Je ne peux pas le dire. Sa façon d’être et d’enseigner…en ne parlant presque pas, m’a convenu ! Il croyait vraiment en moi ; or, que quelqu’un me le dise très clairement, c’était bien la première fois que cela m’arrivait…

D.M.- Quels autres partenaires ou maîtres as-tu fréquenté de manière marquante lors de ta carrière ?

B.M.- J’ai eu la chance de jouer avec des gens comme : Martha Argerich, Alexandre Rabinovich, Heinrich Schiff, Hansheinz Schneeberger, etc. On peut dire que j’ai appris beaucoup en jouant et en faisant de la musique de chambre. Naturellement, je me suis formée également en allant au concert, à l’opéra ainsi qu’en travaillant comme co-répétitrice. C’est un chemin qui n’est pas comparable avec celui des jeunes d’aujourd’hui. J’ai l’impression que mon chemin allait de l’intérieur vers l’extérieur (d’une recherche personnelle vers un partage avec les autres) et qu’aujourd’hui c’est l’inverse qui se produit. Pour les jeunes, l’ordre du jour est de consommer les cours, de faire, en quelque sorte, du tourisme auprès des professeurs. C’est devenu un sport qui permet d’en parler sur les réseaux sociaux. Ils font cette consommation parce qu’ils croient nécessaire d’avoir ces informations, ces conseils et ces inspirations.

D.M.- Existe-t-il des types différents de masterclasse ?

B.M.- Je pense qu’il y a des masterclasses dans lesquelles les élèves ont très peu l’occasion de jouer et de bénéficier directement de conseils directs, et cela parce qu’il y a un trop grand nombre d’élèves qui sont acceptés. Mais je suis d’avis que c’est en écoutant les cours qu’on apprend, parfois plus que lorsqu’on y joue. Dans les masterclasses que je donne, un nombre réduit d’élèves est accepté (seulement 6) de manière à ce que chaque jour un cours soit dispensé à chacun. C’est donc une masterclasse très intensive.

D.M.- Dans quel cadre peut se dérouler un tel cours ?

B.M.- Dans un endroit qui favorise la concentration des élèves. D’habitude ils font leurs études dans une ville. C’est pourquoi la masterclasse devrait se dérouler dans un endroit régénérateur, dans un village, proche de la nature, un endroit où l’on peut marcher, se baigner dans un lac ou une rivière ; voilà l’idéal pour moi…

D.M.- En quoi consiste la différence entre ces deux manières d’enseigner que sont celle d’un pédagogue devant un auditoire et une leçon en tête à tête, entre le professeur et l’élève ?

B.M.- Parfois, il y a des maîtres-professeurs très doués qui sont aussi des conférenciers sachant raconter des tas d’anecdotes. Personnellement, mon écoute et ma manière de parler à l’élève lors d’une master classe ne diffèrent pas beaucoup d’un cours normal. Je pense que je suis au service de l’élève et je ne vais pas expliquer différemment mon cours. Je m’adapte à chaque élève et je ne donne pas des grandes recettes généralisées. Je suis à l’écoute de chacun et j’essayer de lui donner au moins une clé qui puisse lui être utile et avec laquelle il puisse repartir.

D.M.- À quel degré de préparation de leur morceaux les participants doivent-ils se présenter?

B.M.- Être très bien préparé, c’est l’une des conditions d’une masterclasse ; il faut avoir très bien étudié. C’est comme cela que l’élève aura la distance nécessaire pour être en mesure de comprendre l’apport spécifique du cours auquel il aura assisté : la nouvelle ligne apportée, le nouvel angle de vue, la nouvelle lumière.

D.M.- Quelle est la durée idéale (en nombre de jours) pour ce type de cours ?

B.M.- Neuf à dix jours, c’est une durée idéale pour que le cours ait lieu dans une atmosphère détendue. Une semaine c’est déjà très bien mais cela ne suffit pas pour assimiler et intégrer toutes les informations reçues qui permettront de se présenter en concert ultérieurement. Je précise que la relation aux nouvelles informations se fait très vite si l’on sait écouter

D.M.- Est-ce qu’il arrive qu’un membre du public pose des questions ?

B.M.- Non, je n’ai pas eu des intervenants du public. Ce que je note chez le public c’est le plaisir qu’il a de constater un changement dans le jeu de l’élève, soudainement transformé par une phrase, voire un seul mot du professeur. Ce qui est différent dans les masterclasses -par rapport au cours ordinaires- c’est que les mots semblent perçus par les élèves d’une autre manière, un peu comme des cadeaux. Ils ont une tout autre écoute ; je pense que c’est le cadre qui le détermine. Probablement qu’il y a également l’effet des témoins dans la salle : ces derniers modifient l’énergie qui circule. Cette énergie qui est presque visible.

D.M.- Sur la totalité de sa période formatrice, pour diversifier ses connaissances, un étudiant devrait-il multiplier sa participation à de très diverses classes de maîtres ?

B.M.- Je crois que ça ne peut pas faire de mal, ça peut faire même beaucoup de bien mais dans une époque où l’offre d’informations est tellement grande, je recommanderai aux jeunes de ne pas délaisser une recherche très personnelle et de travailler leur imagination par rapport à un texte musical même sans l’instrument, c’est à dire d’aller marcher dans la nature et travailler la musique dans sa propre imagination. Je pense qu’il y a presque une surconsommation et chaque consommateur peine à trouver le temps de sélectionner et d’approfondir les choix qui conviennent à sa propre personne.

D.M.- Quelles sont les dates de ta prochaine masterclasse et où aura-t-elle lieu ?

B.M.- Du 23 au 30 août à Uttwil dans le canton de Thurgovie près du Lac de Constance en Suisse. C’est une master classe pour quatre instruments : piano violoncelle, violon trombone, clarinette.

http://www.meisterkurse-uttwil.ch/francais/

Dans un cadre magnifique, dans un lieu qui a déjà attiré beaucoup d’artistes : peintre, écrivains, musiciens. Pendant la première et la deuxième guerre mondiale, beaucoup de musiciens ont été accueillis dans ce village intime et très chaleureux dans lequel on sent un passé très culturel. Les étudiants sont reçus très amicalement par les villageois qui les accueillent dans leurs familles. Les liens qui se créent sont extraordinaires. Les gens suivent la carrière des jeunes, qui sont invités même aux mariages, c’est un vrai noyau de fan club. Le piano est à disposition des étudiants. Cette année mon collègue Daniel Kopilov de Moscou viendra également avec ses élèves. Par le passé nous avons déjà fait l’expérience de donner la possibilité aux élèves d’avoir des cours avec nous deux. Si le climat le permet, le lac invite à la baignade. A la fin de la masterclasse un élève de chaque instrument est désigné pour se produire dans un concerto, au printemps de l’année suivante, avec l’Orchestre Philharmonia du Sud-Est de Constance.

D.M.- Quel est le niveau minimum requis pour se présenter ? Des inscriptions d’auditeurs sont-elles possibles ?

B.M.- C’est un niveau professionnel. Mais le cours est ouvert également aux amateurs de haut niveau. Une grande pièce peut être présentée mais c’est plus intéressant d’apporter deux pièces d’époque différentes (dont une qu’on peut jouer en concert) en sachant que chaque élève dispose d’environ 15 min par concert (il y en a deux à la fin du cours). Les auditeurs sont également bienvenus.

D.M.- Se filmer est un outil de travail pour certains étudiants. L’utilises-tu et acceptes-tu qu’il soit diffusé sur internet ?

B.M.- La démarche interprétative peut venir de l’intérieur ou de l’extérieur. Les deux sont valables. Je trouve plus important l’aspect intérieur, soit comment un pianiste ressent les choses. Il faut qu’il se sente à l’aise avec son instrument et je ne parviens pas à imaginer qu’on puisse vraiment profondément corriger quelque chose de l’extérieur. C’est mieux de le vivre plutôt que d’avoir un regard extérieur. C’est utile pour observer des détails, mais la correction se fait de l’intérieur.

D.M.- Souvent un concert clôturant le stage et un certificat de participation est offert aux étudiants. L’ensemble de ces expériences peut être très enrichissant mais ne porte pas toujours ses fruits. Que conseilles-tu aux participants, pour faire fructifier cet apprentissage de quelques jours intensifs ?

B.M.- Plutôt que d’aller vers une autre masterclasse ou d’avoir un certificat supplémentaire, il faut faire sa propre démarche, jour après jour, année après année. Il faut parvenir à être quelqu’un de vrai… La musique ne pardonne pas l’absence de vérité !

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