Hommage à un pianiste éblouissant : Dinu Lipatti

Lippati_1« La Musique est une chose grave. »

D. Lipatti

Sans remonter trop loin dans l’histoire, au début du XXe siècle la caractéristique principale du son de pianistes tels que Ricardo Viñes, Wilhelm Backhaus, Alfred Cortot, Yves Nat, Blanche Selva, Mieczyslaw Horszowski (et tant d’autres…) était de restituer son côté émotif et sensitif à la Musique, servie par une virtuosité jamais gratuite ni ostentatoire ; le piano d’aujourd’hui exalte plutôt , de plus en plus souvent, l’aspect brillant et sportif au détriment du contenu. Le piano avait autrefois un rôle lyrique ; les artistes cherchaient à imiter la chaleur de la voix humaine, alors qu’aujourd’hui c’est le côté percussif et éclatant qui prime. Parmi ces nombreux artistes de la première moitié de 1900, Dinu Lipatti détient une place d’honneur. L’estime et l’admiration unanime et inconditionnelle de tous ses collègues contemporains son un indice de sa supériorité.

Né à Bucarest, en Roumanie, le 19 mars 1917 dans une famille qui pratiquait la Musique, Lipatti s’éteint très jeune à Genève, en Suisse, le 2 décembre 1950 suite à un mal terrible : la maladie de Hodgkin, le cancer du système lymphatique.

Je ne ferai pas ici un compte-rendu biographique plus détaillé ; on le trouve facilement sur internet (par exemple sur le site qui lui est consacré : http://www.dinulipatti.com ). Mais je voudrais partager avec vous mon éblouissement face à l’immense sens poétique de l’artiste, à son jeu tout de soie et d’or , son parfait et subtil sens rythmique et du tempo, alliés à sa conscience aigue de la polyphonie, nous transportent dans une dimension spirituelle étourdissante.
Quelle chance nous avons de pouvoir l’écouter dans les nombreux enregistrements qui subsistent ! Je rends hommage à la technologie de l’époque qui peut nous faire écouter ses Valses de Chopin, une référence quasi absolue aujourd’hui encore, enregistrées à Genève l’été de 1950, peu avant sa disparition. On y trouve la quintessence de deux génies : Chopin et Lipatti.
Les archives de la Radio Suisse détiennent encore trois précieux entretiens avec Lipatti au cours desquels il raconte notamment ce dernier enregistrement : l’utilisation de 25’000 mètres de ruban d’acier, soit 42 heures de musique gravée, un effort soutenu sur 10 jours (ce qui ne serait plus concevable aujourd’hui pour des raisons de coût de production). Il n’a été retenu, en réalité, qu’une poignée de minutes sur la totalité de l’enregistrement.

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Il nous a également laissé ses interprétations des concerti de Schumann et de Grieg, du premier Concerto pour piano de Liszt et de l’Alborada del Gracioso de Ravel, de la première Partita et de plusieurs chorals de Bach   (la musique« la plus proche de mon cœur ») et des merveilleuses sonates pour piano ainsi que pour piano et violon d’Enesco (immense génie que Lipatti considérait comme son père spirituel). Sans parler des enregistrements de Chopin, Schubert, Scarlatti, Mozart, Brahms, Bartòk, etc., des interprétations qui nous marquent à jamais.

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Vous pouvez trouver la plupart de ces merveilles dans le coffret édité par EMI qu’on peut encore se procurer, malgré la cessation d’activité en 2012 de cette maison de disques.

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« Ne vous servez pas de la musique, servez-la. » D. Lipatti

Ce qu’on sait moins, c’est que Lipatti était également compositeur. Ses œuvres d’un style néo-classique s’inscrivent dans les traditions esthétiques française et roumaines. Parmi celles-ci on trouve une Symphonie concertante pour deux pianos et orchestre, un Concerto pour orgue et piano, un Quatuor pour instruments à vent, un Concertino pour piano et orchestre, une Suite pour orchestre « Les Bohémiens », des Mélodies sur des poèmes français, une Sonatine pour la main gauche, etc.

Le livre de Grigore Bargauanu et Dragos Tanasescu « Dinu Lipatti », éditions Payot (Lausanne) est un des ouvrages les plus complets sur l’artiste.

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Dans les Conservatoires d’aujourd’hui, peu d’élèves ont entendu parler de ces trésors de la Musique. Espérons que la mémoire de l’humanité n’effacera jamais le témoignage d’un si grand artiste !

  1. j’ai tant admiré ce pianiste et j’ai correspondu avec sa femme Madeleine DCD en 1983 à Genève elle adorait et admirait son mari, ses lettres m’ont appris la façon dont il travaillait, et surtout son immense courage dans la maladie (que l’on peut guérir maintenant) je suis Genevoise et là bas ce fut presque un deuil national, Ansermet, pourtant assez sévère l’aimait et le dernier concerto de Schuman joué peu de temps avant sa mort grâce aux médicaments, émouvant, mais l’enregistrement du même morceau avec Karajan est inégalé.

    1. Merci pour ce mot, José. Je suis genevois aussi, bien qu’expatrié. C’est Lipatti qui m’a donné envie d’apprendre le piano, voici 45 ans. Ma grand-mère connaissait aussi sa femme Madeleine. Les rares pianistes chez qui j’ai retrouvé des qualités de Lipatti sont Youri Egorog et Emile Naoumoff, ce dernier ayant aussi eu Nadia Boulanger comme prof, dans son très grand âge. Dans le “In Memoriam Dinu Lipatti”, paru 10 ans après sa mort, tous les commentaires des plus grands musiciens de son époque parlent de lui presque comme un “saint” plutôt que comme un musicien : ils n’évoquent que ses qualités d’âme exceptionnelles…

  2. Bonjour José.

    Alors, vous êtes l’un des privilégiés qui a pu approcher de près des êtres aussi exceptionnels ! Votre témoignage est très précieux ! Merci beaucoup !

  3. J’ai eu le privilège de voir très souvent Dinu Lipatti qui venait presque quotidiennement voir mon père, son médecin. Bien que petite fille, je ressentais une grande affection et respect pour Dinu et me rendais compte que nous vivions des moments uniques en sa compagnie. Le jour où mon père est revenu de chez Dinu, au début de l’après-midi, le 2 décembre 1950, j’ai vu, pour la seule fois de ma vie, mon père pleurer un ami qu’il considérait comme son frère. J’ai compris que Dinu ne viendrait plus jamais jouer sur notre piano- Bösendorfer- dont il appréciait tant la sonorité.

    1. Mon père était le Docteur Henri Dubois-Ferrière. Il est devenu le médecin de Dinu mi-1946 car il était le seul hématologue à Genève. Une amitié exceptionnelle est née entre ces deux hommes qui se sont aimés comme deux frères. Juste après la mort de mon père,en juillet 1970, avec Madeleine Lipatti, et Suzanne et Grégoire Salmanowitz, entre autres, nous avons créé la Fondation Dr Henri Dubois-Ferrière Dinu Lipatti pour la lutte contre la Leucémie et autres maladies du sang.Son but est de financer la recherche sur cette maladie afin de la guérir définitivement:
      http://www.dfdl.org

  4. L’ironie veut que 68 ans après Dinu, mon mari est décédé de la même maladie.
    La lutte pour la vaincre ne doit pas cesser. Il faut du courage.

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