Entretien avec Gianmaria Bonino

Gian Maria BoninoQuel son au XIX ème siècle ?

Pour moi il n’y a pas de doute à avoir : si un musicien n’a aucune idée de comment les instruments sonnaient au moment de la composition des morceaux qu’il se propose de jouer, il ne pourra pas pénétrer toutes les couches de compréhension que la musique lui offrirait.

Les instruments modernes sont si différents de ceux du passé, qu’il est pratiquement impossible de comprendre la production du son du temps de Haydn par exemple. Mais de tenir compte de quelle était la réalité sonore de l’époque transforme notre angle de vue sur l’œuvre et nous invite a approfondir notre lecture de la partition et à produire sur le piano d’aujourd’hui un son multi-dimensionel.

Vous êtes-vous posé la question comment sonnait l’instrument sur lequel Beethoven a écrit sa sonate en do mineur op.111 ? Était-il différent de celui sur lequel il a composé sa sonate dans la même tonalité op.13 ? Ne vous-êtes vous jamais demandé d’où venait le coloriage si particulier et si innovant ainsi que toutes les difficultés techniques si variées dans les diverses œuvres de Chopin ?

Le pianiste italien Gian Maria Bonino s’est diplômé au Conservatoire Giuseppe Verdi de Milan dans la classe de Lydia Arcuri et au Conservatoire de Lucerna auprès du maître Myeczislaw Horszowski. En 1989 il s’est diplômé également dans la classe de clavecin d’Alda Bellasich au Conservatoire de Gênes et en janvier 1999 il a obtenu un diplôme de piano au Conservatoire Supérieur de Winterthur (CH). Il se dédie dès sa jeunesse à l’activité artistique et il joue en tant que soliste dans de nombreuses villes italiennes et à l’étranger, en particulier pour la société GoG de Gênes, les Concerts d’automne de Bergame, au Théâtre de Trieste, à la Société des Concerts de Milan. Il se produit également au Conservatoire de Moscou et aux États-Unis où, en 1992, il reçoit le 3° prix à la concurrence annoncée publiquement former la Société Bach à Washington DC sur la “Variations Goldberg”. Il joue en tant que soliste et en formation de musique de chambre dans des festivals internationaux tels que Lubiana, les Sons du Festival de la Méditerranée, Floraisons Musicales à Chateauneuf-Du-Pape, le Festival Emilia Romagna, Wich Llivia de Santa Florentina.

En 2001 il fonde avec le violiniste Glauco Bertagnin l’Ensemble “Camerata Mistà” et “Musici Vivaldi” et organise régulièrement des concerts.

Gianmaria Bonino enregistre avec le flûtiste Andrea Oliva intégrale des sonates de Haendel auprès de la maison Chant de Lions de Bruxelles ainsi que qu’avec le traverso Luca Ripanti l’intégrale des sonates de JS Bach auprès de la maison Polhymnia. Son dernier CD nous fait entendre d’une manière unique les Études de Chopin op. 10 et 25, tels que le compositeur les a conçues: sur un Pleyel de 1839. Le pianiste nous les rend avec une fluidité et une luminosité chantantes, dans un coloriage qui épouse au plus près le Rubato de Chopin. Nous sommes littéralement transportés dans le monde des sons que le compositeur lui-même a connu.

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Gianmaria Bonino a joué avec des orchestres tels que l’Orchestre Filarmonica di Torino, l’Orchestre de La Scala et Pomeriggi Musicali de Milan et d’autres. Il a collaboré avec des partenaires tels que les flûtistes Shigenori Kudo, Maxence Larrieu, les violoncellistes Enrico Bronzi, Vittorio Ceccanti et ainsi que le quatuor à cordes Atheneum du Berliner Philharmoniker. Monsieur Bonino a joué également avec les Virtuosen du Berliner Philharmoniker et le Philarmonische Kamerata de Berlin, en collaborant avec le hautboïste Albrecht Mayer au Lucerne festival et Rheingau – festival avec lequel il a occupé de nombreuses tournées en Espagne, France, Slovénie et l’Italie. Récemment, il a joué comme soliste à la Berliner Philarmonie dans le concert d’ouverture de la saison 2007-2008 dans la saison des concerts Berliner Phhilarmoniker avec pièce contemporaine du compositeur américain Joel Hoffmann.

D.M. : Tu es un passionné et un spécialiste des instruments anciens et tu te produis dans la plupart de tes concerts sur des pianos du XVIIIème et du XIXème. Qu’est ce qui t’a attiré vers ces instruments et depuis quand ?

G.M.B. : J’y ai été attiré après une longue expérience sur le clavecin. Cet instrument est l’un des meilleurs guides pour bien comprendre les arguments qu’on va expliquer plus loin. L’histoire de la musique n’a pas d’interruptions : la grande littérature baroque doit absolument s’interagir avec la littérature du pianoforte du XVIIIème ou du XIXème siècles. Non seulement au niveau interprétatif mais aussi au niveau du doigté, de la posture, de la qualité du son.

D.M. : Quels sont tes instruments préférés et pourquoi ?

G.M.B. : J’ai plusieurs préférences. Chaque instrument possède une poétique très spéciale et on ne peut pas les confondre. Au niveau de la création artistique des compositeurs, chaque instrument utilisé avait un son spécifique de l’époque, avec une mécanique, des cordes et des marteaux particuliers. On ne peut pas imaginer Chopin ou Beethoven devant un piano tel qu’il sonne aujourd’hui. Nos instruments modernes n’existaient pas à cette époque. La sonorité de chaque instrument différait selon les différentes écoles de fabrication et de construction. On peut trouver des énormes différences si on joue sur un pianoforte d’école anglaise ou un pianoforte de la même époque mais d’école viennoise. C’est à cause de ces différences de construction d’un instrument à l’autre qu’on peut trouver des styles d’écriture très variées chez un même compositeur : par exemple Beethoven à travaillé sur des instruments viennois pendant sa jeunesse et quand Sébastien Erard lui a donné un pianoforte du début du XIXème siècle avec une mécanique anglaise, le compositeur avait commencé à écrire la Sonate op. 53 « Waldstein » ou la répétition des notes était grandement facilitée grâce à la découverte de l’échappement simple. D’alors la création artistique de la Sonate a trouvé son instrument spécifique. Pour moi il est absolument indispensable de jouer le répertoire sur l’instrument pour lequel il a été conçu. Pour cette raison la technique utilisée par le pianiste sera différente, ainsi que l’écoute et la manière de travailler. Il s’adaptera à tous les aspects de la composition, ni plus ni moins.

D.M. : Pourquoi serait-il important de savoir comment sonnaient les instruments des siècles derniers ?

G.M.B. : On ne peut pas imaginer le rubato, l’équilibre des sonorités conçues par les compositeurs sans utiliser les pianos de leur époque. Tous les détails imaginés par eux ne peuvent pas être concevables à tous les niveaux sans avoir vécu et entendu ces sons.

D.M. : Comment aborder le son de ces instruments ?

G.M.B. : Ce n’est pas facile. Il est important d’oublier nos habitudes précédentes. La principale difficulté réside au niveau du diapason, de la couleur mais principalement au niveau du volume sonore. Oui parce que la force utilisée aujourd’hui pour jouer un Steinway n’est pas comparables. Les instruments anciens ne réagissent pas avec un son agréable si on joue aussi fort que sur un piano moderne. La première approche peut surprendre et présenter des difficultés de contrôle du toucher assez frustrantes. Il faut d’abord essayer de toucher l’instrument de manière très intime pour s’adapter et trouver une confiance en lui. Il faut se rapporter plutôt à la force d’un clavicorde et d’un clavecin avec le 2ème 8 pieds « dolce » et travailler les passages classiques très lentement et avec un doigté spécifique.

D.M. : Y a-t-il une technique particulière à utiliser sur ces claviers ? À quoi faut-il prêter attention au niveau du son ?

G.M.B. : Oui, absolument. La technique change sur chaque instrument. Les principes son similaires mais pour attaquer le travail sur un piano historique il faut commencer avec une mécanique viennoise très sensible et bien équilibrée. C’est encore mieux si on peut travailler sur des instruments de l’époque. Si on maîtrise bien la mécanique viennoise avec ses difficultés on pourra en dominer des plus récentes ; il faut se rappeler également que les grands compositeurs de l’époque romantique comme Chopin, Schumann et Liszt ont commencé leur travail technique sur la mécanique viennoise. Pour cette raison on trouve une analogie de rapport entre eux et toutes les iconographies qui relèvent d’une posture des mains très haute.

D.M. : Comment adaptes-tu ta technique quand tu joues sur un instrument moderne ?

G.M.B. : Il n’y a pas des difficultés particulières. Il faut rapporter la technique au poids du clavier et donner un peu plus de puissance sur les doigts. Mais le travail sur la mécanique des pianos modernes va aussi très bien.

D.M. : Y a-t-il une façon différente d’enregistrer un CD sur ces instruments en comparaison des instruments modernes ?

G.M.B. : Oui. Les mêmes problèmes qui se présentent avec la musique baroque. Il faut bien travailler sur les équilibres sonore : soit solo, soit avec la musique de chambre. Dans ce cas il sera d’abord très difficile de trouver l’équilibre sonore et le dosage approprié. Il faudrait principalement utiliser les instruments à cordes montés avec des matériels naturels (cordes en boyaux, par exemple).

D.M. : Quels conseils voudrais-tu donner aux jeunes pianistes en formation qui n’ont jamais connu autre chose que le son des instruments modernes ?

G.M.B. : D’abord travailler et connaitre les secrets du clavecin et de ses différentes écoles. Seulement avec ce bagage un musicien pourra découvrir comment travailler soit le cantabile, soit la polyphonie soit le style galante qui est indispensable pour trouver le « souffle » ; il faut également avoir étudié la littérature musicale de la fin XVIIIème qui est d’un niveau plus simple et facile à jouer comme : les fils de Bach, le jeune Haydn et ensuite Mozart. Ensuite, petit à petit on peut arriver à la littérature du XIXème en prenant bien soin du doigté, du style et du niveau sonore.

D.M. : As-tu des indices que l’intérêt du public pour les instruments anciens se développe ?

G.M.B. : Oui. Le public veut principalement écouter cette musique là. Le succès est très fort et les gens écoutent avec une grande liberté d’esprit et sans préjudices. Les musiciens modernes qui assistent à ces concerts ne sont pas forcément prêts pour être libres et indépendants. Les professionnels conservent leurs propres idées et n’aiment pas mettre en discussion le travail d’une vie. Mais le public, spécialement celui qui est simple, est toujours ravi.

D.M. : Quels sont les musées, festivals et autres centres qui se consacrent aux instruments anciens que tu conseillerais pour la découverte de ces instruments ?

G.M.B. : En priorité les musées d’instruments anciens sont intéressants pour voir de près leur mécanique. Mais c’est dans les collections privées ou publiques que vous allez découvrir une grande diversité d’informations. Vous pouvez aller voir par exemple les collections Accardi à Saluzzo (Italie), la collection de l’Académie Bartolomeo Cristofori à Florence (Italie), la collection de Paul Badura Skoda au Château de Kremsegg (Haute-Autriche) ainsi que d’autres collections privées.

D.M. : Quel est ton état d’esprit aujourd’hui ?

G.M.B. : Très jeune, je suis toujours un étudiant. L’esprit d’être étudiant est l’indispensable point d’orgue pour commencer un travail absolument inconnu. Inconnu parce que on ne connait pas l’exécution de Mozart, Beethoven, Chopin, etc … Et la recherche doit être libre, sans préjudices et loin du maniérisme qui est parfois lié à l’interprétation moderne des jeunes musiciens. La vie d’un musicien doit être créative, originale et pleine d’émotions. Parfois l’émotion n’arrive pas du fait qu’on oublie l’essence émotive des compositeurs. Le moteur créatif était principalement l’émotion. Il faut se rapporter à elle pour commencer un travail créatif.

Merci !

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Piano Pleyel – 1839

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