La main, un mécanisme qui sait chanter !

Bollmann_web La tendinite, le grand fléau des pianistes ? Ça a toujours fait très peur à tous ceux qui s’exercent trois, six, huit ou dix heures de piano par jour. Comment éviter la grande fatigue musculaire ? Comment être sûr de faire les gestes les plus efficaces ? Dans la plus grande économie de mouvements ?

 

La technique du piano est en vérité très simple, mais il faut des années pour la maîtriser.

                                                                                                                                    Glenn Gould

 

Evidemment, le répertoire qu’on joue peut être plus ou moins difficile mais si on imprime à la main, au bras ainsi qu’au dos des mouvements mal adaptés dès les premières années d’apprentissage, cela peut être très difficile à corriger par la suite et même irrémédiable parfois. Alors, il est très important d’être vigilant tout au long de sa formation puis de sa vie de pianiste pour ne pas fatiguer ce formidable mécanisme que sont nos bras, mains et doigts qui nous permettent de sculpter la musique au travers de notre instrument.

Le Dr. Christof Bollmann est chirurgien de la main installé à la Clinique Longeraie. Il a grandi à Fribourg et à Berne, effectuant ses études de médecine à l’Université de Fribourg. C’est tout d’abord à Lausanne puis à Fribourg et Yverdon-les-Bains qu’il fait sa formation en orthopédie et traumatologie pour obtenir son diplôme de spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologique en 2006. Une fois ce titre obtenu, il part comme chef de clinique à la Clinique de Longeraie à Lausanne puis réalise une année aux HUG pour compléter sa formation de chirurgien de la main. Par la suite, il occupe le poste de médecin chef de la Permanence de Longeraie jusqu’en 2012. Il complète sa formation de Chirurgie de la Main et Membre supérieur par un fellowship à Brisbane (Australie). De retour en Suisse, il retourne à la Clinique de Longeraie , puis au Centre de la Main à l’hôpital orthopédique et depuis avril 2015 il y est encore à 20% comme médecin agréé. En avril 2015 le Dr Bollmann a repris le cabinet du Prof Egloff à la Clinique Longeraie.

Le Dr Bollmann s’intéresse tout particulièrement à la chirurgie prothétique du poignet et de la main, la maladie de Kienböck et les pseudarthroses du scaphoïde, ainsi que les opérations par arthroscopie.

Il participe activement à la formation post-graduée des assistants et des chefs de clinique du service et s’occupe également de l’Ultrasonographie diagnostique au niveau de la main et du poignet.

(informations provenant de : http://www.chuv.ch/cpr/cpr_home/cpr-en-bref/cpr-notre_equipe/cpr-medecins-cadres/cpr-notre-equipe-medecins-christof-bollmann.htm

D.M. : Avez-vous déjà eu des patients pianistes ou autres instrumentistes comme patients ? Si oui, quelles étaient leurs préoccupations ?

C.B. : Oui, j’ai déjà eu des patients musiciens. Il y a très peu de pathologies spécifiques à la pratique de la musique. On a observé que les tendinites se développeront plus fréquemment chez un instrumentiste à cause des mouvements répétitifs. On redoute chez eux la dystonie du musicien (trouble du tonus musculaire ou de l’influx nerveux), un problème que les écrivains ont également et qui s’appelle la crampe de l’écrivain. C’est très difficile à traiter. On le fera plutôt par voie médicale (par ex. : l’ergothérapie) et non pas chirurgicale. Mais les musiciens ont souvent les mêmes pathologies que les non-musiciens.

D.M. : La main, cet organe extrêmement développé, est constituée de beaucoup de ligaments, d’os, d’articulations, quelques muscles aussi. En revanche les doigts n’ont pas beaucoup de muscles. Comment peut-on expliquer la grande force qu’une main peut imprimer sur un objet ?

C.B. : La masse musculaire est assez importante au niveau de l’avant-bras. Les tendons qui se trouvent dans la main (où il y a peu de place et où on ne trouve que des petits muscles qu’on appelle intrinsèques) vont faire le relais entre le muscle de l’avant-bras et leur insertion sur les os de la main. La force est bien là mais elle ne vient pas de la main elle-même.

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D.M. : Quels sont à votre connaissance les mouvements les plus dangereux pour les mains, les doigts et les bras ? Et quels sont vos conseils pour préserver un maximum ces parties du corps ?

C.B. : C’est la répétition de très nombreuses fois d’un même mouvement qui est à la base des problèmes rencontrés. Il faut principalement éviter les mauvaises postures à l’instrument qui vont générer des tendinites ou des douleurs. En tant que professeur, vous avez la très importante mission d’apprendre aux élèves une bonne position dès le début de l’apprentissage ou de corriger aussi vite que possible une mauvaise position.

D.M. : Pour les pianistes, la sensibilité et le contrôle de la dernière extrémité des phalanges des doigts sont capitaux. L’altération par accident de l’innervation ou de la vascularisation finale du doigt est-elle un dommage irrémédiable ?

C.B. : En cas d’amputation, on peut faire des réimplantations mais il faut savoir que le nouveau doigt ne sera jamais aussi bon, sensible et efficace que le doigt original. Des séquelles seront présentes, surtout si l’accident concerne les nerfs. Mais il peut être utile quand même…

D.M. : Je crois savoir qu’un coureur de fond utilise à tour de rôle les muscles antérieurs et les muscles postérieurs de ses cuisses pour ne pas fatiguer continuellement le même groupe musculaire. Est-ce qu’on peut comparer aux jambes d’un marathonien la fatigue des mains d’un pianiste ?

C.B. : Oui, on peut tout à fait comparer les deux disciplines, sans oublier que ça nécessite un entraînement. Et on revient à parler de la manière dont on s’y prend pour jouer de l’instrument : la bonne position étant capitale, surtout si on pratique de nombreuses heures. Quelqu’un qui n’a pas l’habitude de s’entraîner de manière prolongée n’a pas la résistance musculaire formée.

D.M. : La force est très différente pour chaque doigt de la main. Comment peut-on expliquer la faiblesse de l’annulaire (4ème doigt des pianistes) ?

C.B. : D’après des recherches faites avec un dynamomètre par Dr. J.S. Talsania et Dr. S.H. Kozin du département d’Orthopédie du Temple University School of Medecine de Philadelphie (USA), on sait que la puissance des doigts qui doivent serrer quelque chose est approximativement comme suit :

L’index de 25 %

Le majeur de 35 %

L’annulaire de 26 %

L’auriculaire de 15 %

Mais quand on joue du piano, on a la sensation que l’index et l’auriculaire sont plus puissants du fait qu’ils ont un tendon supplémentaire (l’extenseur propre de l’index et de l’auriculaire) par rapport aux autres doigts (qui ont des extenseurs communs qui les relient entre eux), ce qui leur permet de se lever plus facilement de manière individuelle. Donc ce n’est pas une question de force mais d’indépendance de mouvement !

D.M. : Le poignet, une articulation à grand risque (les pianistes souffrent souvent de kystes à cet endroit) doit être particulièrement ménagé. Quels sont les plus grands dangers pour le canal carpien (y a-t-il des mouvements à ne jamais faire)?

C.B. : Il n’y a pas d’étude qui démontrerait que certains mouvements sont à proscrire. La maladie du canal carpien n’est pas reconnue en Suisse comme maladie professionnelle. Certains vont développer cette maladie et d’autres pas. Le « canal carpien » veut dire que le nerf médian n’a pas assez de place dans le canal ou il passe ; ce canal est formé par un ligament et dans la face profonde il y a les os du carpe – si le nerf est trop coincé ou trop longtemps comprimé, il peut être endommagé et sa fonction sera diminuée. C’est rare qu’on en trouve l’origine. On a observé qu’il pouvait y avoir un problème de ce genre après une grossesse (à cause de la dilatation des tissus – œdème), une maladie de la thyroïde ou une maladie hormonal. Il faut principalement suspecter ce diagnostic si vous constatez des fourmillements au niveau de la main dans certaines positions (flexion du poignet) ou des fourmillements la nuit avec des réveils.

On peut voir apparaître un kyste dans le poignet de manière imprévue, durer quelques semaines ou des mois et disparaître de manière aussi imprévue qu’il est apparu. La plupart du temps on ne sait pas pourquoi on le développe, mais parfois on trouve une raison sous-jacente. Cela peut arriver à n’importe quel âge. Ce n’est pas inquiétant et on peut vivre avec cela. Dans le cas d’une grosseur ou de douleur très handicapante on opérera, mais ce n’est pas forcément nécessaire.

D.M. : En recherche de souplesse, certains pianistes font des mouvements très amples avec les bras. D’autres cherchent la puissance sonore en les raidissant. La position du dos a une conséquence directe sur le travail de la main du pianiste. Avez-vous quelques conseils à donner pour sentir et trouver d’une manière efficace le geste du bras, indépendamment du passage joué ?

C.B. : La position du dos, la position abdominale et celle de l’épaule vont influencer le geste de la main. Tous les musiciens doivent être très attentifs à leur position pour ne pas souffrir de trop grandes contractures musculaires. Je recommande fortement la lecture du livre de Raoul Tubiana Pathologie professionnelle des musiciens (très détaillé, accessible aux non-scientifiques également). Une des hypothèses pour les problèmes de dystonie de fonction serait un accident produit il y a longtemps dans notre vie qui modifierait notre position et l’utilisation du haut du corps sans qu’on s’en rendre forcément compte. Et cela serait à la base de tensions dans le bras.

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D.M. : Quels sont vos conseils pour renforcer le soutien des muscles du dos ?

C.B. : Il faut un équilibre entre tous les muscles. Si cet équilibre n’est pas présent, on n’aura pas la même force et la même souplesse dans le travail. Pour l’équilibre, la mobilité et la souplesse, on peut conseiller des sports comme le yoga ou la natation. En règle générale tous les sports sont bons. Mais, par exemple : si on fait de la course à pied on complétera par du stretching.

D.M. : Avez-vous d’autres recommandations à faire concernant les enfants ? Et pour les adultes ?

C.B. : Pour les enfants comme pour les adultes il faut d’emblée surveiller la position !

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